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Situées en bordure immédiate du principal chenal d’accès au port de Saint-Malo, les deux roches formant le banc de la Natière constituent ce qu’il est convenu d’appeler un « piège à bateaux ». Le site, découvert en 1995 par un chasseur sous-marin, a finalement révélé deux grandes épaves miraculeusement préservées par le temps et les sédiments, désignées Natière 1 et 2. Les recherches croisées sur le terrain et dans les archives ont permis de les identifier comme deux frégates corsaires du début du XVIIIe siècle, soit la Dauphine, du port du Havre, perdue lors de son retour de campagne en 1704, et l’Aimable Grenot de Granville, naufragé en 1749 alors qu’il appareillait pour Cadix.

Les fouilles des épaves de la Natière se sont déroulées de 1999 à 2008 avec une importante équipe d’archéologues plongeurs, de chercheurs et de spécialistes sous la direction de Michel L’Hour et d’Élisabeth Veyrat, archéologues du Drassm. Le site de la Natière se trouve à moins d’un mille nautique des remparts de la ville, dans la baie de Saint-Malo, par 7 à 20 m de fond. Compte tenu de l’étendue spatiale du site de la Natière (1500 m2) et des conditions maritimes locales, il était nécessaire de bénéficier d’une plate-forme logistique adaptée pour mener à bien une telle opération archéologique en toute sécurité. C’est pourquoi l’Adramar a fait l’acquisition en 2000 d’Hermine-Bretagne, un ancien dragueur ostréicole de 18 m, pour le reconvertir en navire de recherche archéologique. Grâce à ce support, les travaux sur zone ont peu souffert des conditions climatiques médiocres fréquentes sur cette côte et seuls quelques jours par campagne ont été perdus.

Les épaves se présentent comme deux ensembles architecturaux alignés symétriquement entre les deux roches de la Natière, sur un fond de sable d’où émergent une trentaine de canons et plusieurs ancres. La topographie du talus rocheux de la Natière, alliée à la présence d’une plaine sableuse immédiatement contiguë aux roches, a garanti une telle protection au site que son potentiel archéologique est resté considérable malgré les siècles.

 

L’épave Natière 1, identifiée comme celle de La Dauphine, une grande frégate royale de 30 canons perdue à l’entrée de Saint-Malo le 11 décembre 1704, en pleine Guerre de Succession d’Espagne, a livré une collection d’objets d’une prodigieuse richesse ainsi que des données architecturales inédites. Une attention spéciale a été accordée aux éléments d’architecture navale de ce bâtiment, très bien conservés à l’avant. L’étude a permis de restituer une frégate marchande de 29 à 30 m (91 pieds) de quille portant sur terre et au port de 350 à 400 tonneaux environ. Les vestiges archéologiques correspondent à un bâtiment couché sur son flanc tribord orienté au nord-est, situé entre les deux roches de la Natière. Le bâtiment est conservé sur une longueur de plus de 35 mètres et s’étend sur une largeur dépassant 15 m au niveau du maître couple. La structure du flanc tribord du navire est cohérente et conservée depuis la carlingue jusqu’au niveau du premier pont, malgré deux lignes de fracture, le long de la quille et au bouchain. Deux pans de la muraille bâbord, disloqués par rapport au gros des vestiges, reposent plus au nord. À l’arrière, les structures architecturales se dégradent en progressant vers le sud-est, à cause du relèvement progressif du substrat granitique aux abords de la roche sud. Alors que la zone autour de l’emplanture du mat est noyée sous une gangue ferreuse générée par la présence de canons de lest et du parc à boulets, l’arrière de l’épave est caractérisé par la présence de nombreuses armes. Le contexte archéologique de Natière 1 est cohérent et très riche, malgré le renversement inévitable des objets vers le sud et dans les deux zones de fractures. La distribution du mobilier est cohérente en plan et en élévation, comme l’attestent les canons bien alignés sur le flanc sud de l’épave et plusieurs barriques qui semblent encore dans leur position d’origine. L’étude de la distribution spatiale des artefacts sur le site a permis de distinguer plusieurs espaces cohérents à l’intérieur du navire, notamment dans la moitié avant du navire, où se trouvent concentrés des objets culinaires, de la vaisselle de bord en étain, puis tout un lot de bouteilles et de flacons. Dans les soutes avant, un ensemble de grattes de calfatage chargées « en botte », un chargement de pelles à sel en bois et des dizaines de petits balais ont été retrouvés. Les outils du chirurgien constituent un autre ensemble cohérent au centre du navire. En effet, un mortier et son pilon, un clystère, plusieurs pots à pharmacie en faïence et quelques petits contenants de verre constituent les restes d’un coffre de chirurgien, dispersés suite au naufrage. Enfin, la frégate a livré plusieurs barils de bœuf salé encore alignés en fond de cale. À l’arrière, la chambre et les logements des officiers ne sont représentés que par quelques éléments épars, sans concentration évidente. Au contraire, l’armement du bord était conséquent, comme en témoigne la découverte de nombreux fusils et pistolets, trois tromblons démontés, de pierres à fusil, de cartouchières, de quelques sabres et d’une douzaine de grenades.

 

L’épave Natière 2 a été  identifiée comme l’Aimable Grenot, un corsaire de Granville de trois mâts, deux ponts, deux gaillards ayant fait naufrage à Saint-Malo en 1749 sur « les pierres Nommées les Rouvras [Ouvras] ». Des deux sites de la Natière, l’épave 2 est la plus proche du chenal, puisqu’elle s’est couchée au pied de la roche nord. Elle est apparue d’abord aux archéologues comme un amas de fer concrétionné couvert de laminaires, d’une hauteur de plus d’un mètre. L’ensemble s’est révélé être un chargement de barres de fonte de fer occupant le centre d’une épave de plus de 35 m. L’observation des vestiges architecturaux permet de restituer un navire de 300 à 400 tonneaux couché sur son flanc tribord et fracturé tout du long de sa quille du côté bâbord. Les vestiges représentent une demie section quasi complète, de la quille au nord jusqu’à proximité du plat-bord, vers le sud.  Dans la partie nord des vestiges, le fond de carène du navire, toujours « en forme », est couvert en partie par l’amas de lingots, au centre du navire, et par une épaisse couche de pierres de lest vers l’avant. Cette extrémité du navire montre une concentration de briques et de plats mêlée au lest qui correspond à la zone de cuisine. Au sud et vers l’arrière, au-delà de l’amas concrétionné, se trouvent des vestiges architecturaux aplatis et très mal conservés sous une mince couche de sable coquillé à l’évidence assez mobile. Le site est ponctué par la présence de quelque 6 ou 7 canons tombés du côté sud du site.

Les carrés fouillés montrent un contexte archéologique riche et bien préservé sous le lest de pierre. Plusieurs céramiques entières et des objets organiques fragiles ont été découverts, associés à des zones d’activités bien marquées. Par contre, c’est le scénario inverse pour la partie arrière. On y trouve peu de mobilier, toujours fragmentaire, et pas de répartition claire des objets. Si les limites du site sont atteintes à l’arrière, une grande partie du centre et de l’avant du navire n’a pas encore été investiguée, essentiellement à cause des difficultés liées au dégagement des pierres de lest couvrant cette zone. Même si l’Aimable Grenot n’a pas été fouillé entièrement, plusieurs ensembles fonctionnels ou zones d’activités ont été mis en évidence. Tout d’abord, il apparaît que le chargement de saumons de fer occupait l’essentiel du fond de la cale centrale. Le lest de pierre, situé à l’avant des lingots, recouvre aujourd’hui une partie de l’avant du site. Dans l’entrepont ou plus probablement sur le pont principal, la cuisine était placée derrière le mât de misaine. Les concentrations de briques et de contenants de cuisine à l’avant sont assez explicites à cet égard. Enfin, plusieurs articles de chirurgien apothicaire retrouvés à l’arrière du navire forment un ensemble fonctionnel cohérent, incluant un urinal, un crachoir et plusieurs pots à onguents, fioles et pots à cuire tripode, etc.

L’abondance des informations générées par l’étude en contexte de quelque mille neuf cents artefacts et des charpentes navales conservées a permis la constitution d’un fond documentaire exceptionnel sans commune mesure en Europe. Celui-ci offre des informations précieuses et inédites sur les techniques de construction navale mises en œuvre dans les chantiers privés comme sur les approvisionnements et les vivres, les échanges économiques et la vie des hommes embarqués à bord de ces frégates qui ont sillonné l’Europe maritime au début du XVIIIe siècle.

 

Film : Un Corsaire sous la mer, 2002, un film de Jérôme Julienne (52 min.), coll. Trésors engloutis, Gédéon programmes.

 

Lien : Grands sites archéologiques – Natière


Les photos

Photos©Teddy Seguin et Frederic Osada – Image Exploration

Téléchargements

L’HOUR M., VEYRAT E., 2000-2005, Un corsaire sous la mer, les épaves de la Natière, volumes 1 à 5, Domagné, Adramar

 

NOTE IMPORTANTE : Ces rapports annuels ne constituent pas une synthèse des recherches à jour, mais reflètent plutôt l’avancement des travaux de recherche et les réflexions des archéologues années après années. Les premiers numéros comportent des approximations et des hypothèses approfondies ou réfutées depuis lors.

Un_Corsaire_Sous_la_Mer_Volume_1

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Directeurs : M. L’Hour et E. Veyrat

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