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Au cours d’une étude de sols sous-marins, le groupe pétrolier français Total releva, en mai 1997, la présence d’une anomalie topographique d’une vingtaine de mètres de longueur sur une quinzaine de mètres de largeur. Localisé à 42 kilomètres au large des côtes du Sultanat de Brunei par 63 mètres de fond, ce tumulus de 1,50 à 2 mètres de hauteur a immédiatement fait l’objet d’une reconnaissance visuelle confiée à un ROV (remote operated vehicule) : des empilements de plats de porcelaine et quelques jarres reposaient sur le site. La présence de cet amoncellement sous-marin de mobilier céramique a aussitôt été signalée aux autorités du Sultanat de Brunei qui ont sollicité la coopération du gouvernement français pour en réaliser l’expertise. Une équipe de spécialistes français a donc été réunie afin de mener à bien l’étude archéologique des importants vestiges de cette jonque chinoise apparemment intouchée depuis son naufrage.

L’opération d’expertise programmée en octobre 1997 grâce au soutien financier de la société Total a révélé que les vestiges de l’épave formaient un quadrilatère de 21 à 22 mètres de long sur 17 à 18 mètres de large et qu’elle était localisée au centre d’une dépression sous-marine en forme d’entonnoir de 185 mètres de diamètre sur 7 à 10 mètres de profondeur. Au fond de cette cuvette, l’épave reposait sur un sol de vase limoneuse extrêmement volatile de telle sorte que même un léger courant suffisait à soulever ce sédiment. Le site était en permanence baigné dans une couche de 6 à 7 mètres d’eau sale, où la visibilité n’excédait jamais plus de 20 à 30 centimètres. L’activité des sous-marins, d’un robot ou d’un plongeur accentuait naturellement ce phénomène. Ainsi, les plongeurs ont généralement travaillé à tâtons sans jamais réellement voir l’épave. Si l’on ajoute à ces conditions déjà difficiles, des critères aussi aggravants que la profondeur importante du site et la présence sur l’épave d’une faune relativement dangereuse, chacun comprendra que l’épave de Brunei ait été considérée comme un site archéologique sous-marin très dangereux malgré sa prodigieuse richesse…

Financé par le groupe Total et dirigé par Michel L’Hour (DRASSM), un vaste programme de recherche a réuni, de mai à août 1998, à Bandar Seri Begawan, capitale du sultanat, près de 170 spécialistes de diverses nationalités, répartis selon la fonction de chacun, entre une base à terre installée dans un entrepôt dit workshop et une barge offshore ancrée à la verticale de l’épave. Pour réaliser l’étude sous-marine du site, il a fallu en outre mobiliser d’importants moyens techniques, notamment des remorqueurs d’assistance, deux sous-marins de 6 tonnes, Jules et Jim, équipés de caméras Broadcast, un robot équipé de caméras, deux caissons de recompression thérapeutique et un puissant engin de levage capable de soulever des charges de 50 tonnes. Afin de garantir un haut niveau de sécurité lors des interventions hyperbares, il a en outre été décidé de privilégier pour les plongées l’usage d’un mélange gazeux de type héliox, associant 80% d’hélium à 20 % d’oxygène. Les plongeurs étaient par ailleurs équipés de casques équipés d’un système de communication fond/surface, d’éclairage et d’une caméra vidéo renvoyant les images sur un moniteur de surface. Les fouilleurs intervenaient seul et tour à tour sur le site lors de plongées planifiées selon les besoins pour 20 ou 30 minutes de travail sur le fond. Pour enregistrer les vestiges et pallier le manque de visibilité, l’installation d’un carroyage matérialisé par des châssis métalliques carrés de 3 mètres de côté a permis d’optimiser le travail des plongeurs, d’assurer un meilleur contrôle des opérations et, parfois, d’obtenir très rapidement un enregistrement précis de la localisation exacte de chaque objet dans son environnement.

Avec la mise au jour d’un des chargements asiatiques les plus importants jusqu’ici découverts en mer de Chine méridionale, la Jonque de Brunei constitue un témoignage unique de l’activité commerciale du Sultanat à la fin du 15e ou au début du 16e siècle et offre au-delà des relations d’archives, une première et remarquable opportunité de saisir dans sa véritable diversité la nature réelle des frets maritimes acheminés vers Brunei et ses populations satellites. Le chargement a au final livré 13261 numéros d’inventaire que l’on peut regrouper en cinq grandes familles de mobilier : les matières premières, le verre manufacturé ou conditionné en lingot, les objets métalliques, les vestiges organiques et les céramiques. Avec près de 11 800 pièces, la part la plus conséquente des découvertes est constituée par les céramiques d’origine thaï, chinoise et vietnamienne. Par contre, il n’a été trouvé aucun vestige d’architecture navale sur le site et, pour se faire une idée du bateau lui-même, on ne peut donc aujourd’hui compter que sur la confrontation déductive de tous les indices collectés au cours de la fouille. L’étude a permis de restituer un navire de 22 à 25 mètres de long sur 8 à 11 mètres de large au maître-couple dont la cale était subdivisée en compartiments par des cloisons, principe classique pour une jonque. Elle a de même conduit à avancer l’hypothèse que plusieurs marchands se partageaient l’affrètement de la cargaison et cette dernière, bien que composée de mobiliers d’origines géographiques très diverses, avait été chargée en un seul et même lieu.

 

Bibliographie :

L’HOUR M. (dir.), 2001, La mémoire engloutie de Brunei. Une aventure archéologique sous-marine, Editions Textuel, Paris

 

Film :

Le trésor de la jonque engloutie, 1999, film réalisé par Marc Jampolsky, collection Trésors engloutis, GCT, 52 mn


Les photos

Photos©Frederic Osada – Image Exploration et Dessin de Marie-Noelle Baudrand

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