La disparition de l’expédition La Pérouse constitue l’un des grands mystères du XVIIIe siècle. Naufragées en 1788 sur les récifs de l’île de Vanikoro dans l’archipel des Santa Cruz (République des Salomons), les frégates La Boussole et l’Astrolabe commandées par Jean-François de La Pérouse n’ont pu achever la grande mission scientifique universelle commencée à Brest, trois années plus tôt, dans la lignée des voyages de Cook et de Bougainville. On devait rester près de trente ans sans nouvelle des 200 marins et des 20 scientifiques de renom qui participaient à cette expédition. Il fallut attendre près de 40 ans et la découverte en 1826 par Peter Dillon des vestiges de La Boussole et de l’Astrolabe sur l’île de Vanikoro pour que l’on commence véritablement à comprendre le destin des deux frégates. Depuis les découvertes de Dillon puis celles de Dumont D’Urville la même année, de très nombreuses missions se sont succédées à Vanikoro afin de percer le mystère La Pérouse et de découvrir le destin des équipages et de leur commandant.
En 2003, la campagne archéologique sous-marine avait pour but d’évaluer le potentiel scientifique des deux épaves et d’identifier respectivement les vestiges de La Boussole et de l’Astrolabe. Localisé par moins de 5 m de fond, le site dit de la « Fausse Passe » est couvert par des formations coralliennes et parcouru par un violent courant. Ces conditions environnementales difficiles ont conduit les précédentes expéditions à délaisser le site, au profit du gisement plus attractif de « la Faille ». La campagne 2003 avait cette fois l’ambition d’identifier avec certitude les vestiges qui y sont préservés. Au cours de l’opération, le plan général des vestiges a pu être réalisé. La découverte d’un fond de carène a permis, en outre, d’étudier l’assemblage quille / membrure / puits des pompes de cale et de réaliser in situ une précieuse étude d’architecture navale. Au nombre des découvertes, on citera également « l’inconnu de Vanikoro », un squelette presque complet d’un européen, âgé sans doute de 35 à 45 ans. Rarissime en contexte d’épave, la découverte d’un squelette humain prend ici une importance spécifique car il matérialise à lui seul la mémoire de l’ensemble des scientifiques et des marins français disparus lors du naufrage.
En 2005, une mission conjointe DRASSM-Adramar en support aux opérations de l’Association Salomon de Nouvelle-Calédonie est programmée. Dirigés par le DRASSM, les travaux en mer associaient 12 archéologues du DRASSM et de l’Adramar venus de métropole pour appuyer les efforts de la trentaine de plongeurs de l’Association Salomon à l’initiative de cette aventure scientifique et humaine. La Marine Nationale, pour laquelle le mystère de la disparition des deux frégates de la Royale a une résonance particulière, a affrété pour l’opération le bâtiment de transport léger de 80 mètres Jacques Quartier, afin d’offrir à l’équipe scientifique une plate-forme logistique adaptée.
L’un des objectifs archéologiques de ce projet était de caractériser plus finement les vestiges de la Faille, afin d’identifier avec certitude la frégate s’y étant perdue. À ce titre, les très nombreux indices découverts sur les deux gisements et qui proviennent des épaves de La Boussole et de L’Astrolabe devaient être considérés collectivement avec une extrême prudence avant d’être attribués à l’une ou l’autre des deux frégates. L’essentiel du travail des fouilleurs s’est effectué sur la zone correspondant à la partie arrière de l’épave de la Faille, le gaillard d’arrière, abritant les logements et espaces de vie des officiers et des savants, étant le plus susceptible de livrer des objets porteurs d’informations propres à identifier le navire. In fine, cette orientation scientifique a porté ses fruits et un nombre conséquent d’objets en excellent état de conservation ont ainsi pu ainsi être mis au jour. Peu à peu, grâce à leur étude, un faisceau d’indices s’est constitué pour faire pencher l’identification de l’épave de la Faille comme étant celle de la Boussole : des ustensiles armoriés tout d’abord, puis la découverte d’une seconde meule à grain sur le site, alors que l’Astrolabe n’en avait qu’une, ayant abandonné la seconde lors d’une escale en Californie. C’est finalement la découverte d’un sextant signé du nom de son fabriquant, « le Sieur Mercier », qui confirmera cette hypothèse : l’instrument faisant partie de l’inventaire du matériel embarqué sur La Boussole.
Parallèlement aux fouilles des deux épaves, les archéologues et géographes de l’IRD de Nouméa menaient sur l’île des opérations de recherche du « camp des Français ». Localisé en 1999 sur l’île de Vanikoro, ce campement aurait abrité plusieurs survivants des navires de l’expédition de La Pérouse, d’après les récits oraux recueillis auprès des habitants de l’île. Les quelques vestiges archéologiques découverts en 1999 et 2000 ont confirmé qu’un nombre peu important de survivants s’étaient bien installés à terre mais le mobilier retrouvé était très fragmentaire. Les travaux de 2003 et 2005 visant à retrouver les sépultures des survivants et les traces d’une éventuelle palissade dans les alentours immédiats du camp dressent le même constat de semi-échec. L’absence de vestiges en dur pousse donc maintenant les archéologues à s’interroger sur la durée réelle de séjour des survivants. Parallèlement aux fouilles du camp des Français, l’équipe à terre a procédé à une enquête ethnolinguistique de terrain menée par Alexandre François du CNRS pour recueillir des témoignages oraux supplémentaires.
Enfin, l’équipe de l’expédition Vanikoro 2005 était complétée par un entomologiste du CIRAD, un peintre et un écrivain de la Marine, plaçant délibérément l’opération sous le patronage des encyclopédistes du XVIIIe siècle, dont l’esprit éclairait l’expédition menée deux siècles plutôt par Mr de La Pérouse.
Bibliographie
– ASSOCIATION SALOMON, 2008, Le mystère Lapérouse, ou le rêve inachevé d’un roi, Édition de Conti, 400 p.
– ASSOCIATION SALOMON, 2008, Opération Lapérouse. Journal de bord à Vanikoro, Édition de Conti, 128 p.
– BELLEC F., 2006, Les Esprits de Vanikoro : Le mystère Lapérouse, Paris, Gallimard
– DILLON P., 1830, Voyage aux îles de la mer du Sud en 1827 et 1828 et Relation de la découverte du sort de la Pérouse, Paris, 2 vol., 361 p.
– FERLONI J., 2005, La Pérouse : Voyage autour du monde, Paris, Éditions de Conti, Grande Bibliothèque Thalassa
– LA PEROUSE J.-F. (de), 2005, Le voyage de La Pérouse, annoté par J.B.B. De Lesseps, Paris, Pôles d’Images
– PENDRAY J., 2006, Sur les traces de La Pérouse. Carnets d’expédition à Vanikoro, Paris, Glénat
– STANBURY M., GREEN J. 2004, La Perouse and the loss of the Astrolabe and the Boussole (1788), Fremantle, Australian Institute for Maritime Archaeology
Film :
L’incroyable aventure de Monsieur de Lapérouse, 2005, un film d’Yves Bourgeois, 208 mn, France Télévisions Distribution
Les photos
Photos©Teddy Seguin
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